La lutte contre le blanchiment de capitaux, l’un des défis relevés par le Togo

Tenue du 21 au 25 mai derniers à Busan en république de Corée du Sud, l’Assemblée Générale annuelle 2018 de la Banque Africaine de Développement (BAD) dont le thème a été porté sur l’accélération de l’industrialisation de l’Afrique, défis auquel est confronté le continent noir à cause du fardeau de la corruption et du blanchiment d’argent, a fait réagir ABA Kimelabalou, le Directeur Général du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA).
Ayant pris part au dit assemblée, le numéro 1 du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le blanchiment d’argent en Afrique mise à part sa réaction suite au sujet sur l’industrialisation en Afrique , la mission du GIABA et ses axes d’action a également fait cas des efforts que mène le Togo dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Pensez-vous que l’Afrique est-elle capable d’accélérer son industrialisation comme le préconise le thème de l’Assemblée générale de la Banque Africaine de Développement ?

Bonjour . Tout d’abord je vous remercie sincèrement de cette opportunité que vous m’avez offerte de m’exprimer à travers vos colonnes. Ce thème nous paraît très pertinent dans la mesure où l’Afrique demeure le continent le moins industrialisé du monde. Pour se développer l’Afrique doit forcément passer par cette étape d’industrialisation créatrice de richesses et d’emplois pour la jeunesse. L’Afrique a beaucoup d’atouts pour réussir ce pari puisqu’elle regorge d’énormes et variées ressources minières dans son sous-sol. L’Afrique dispose également d’un capital humain très important, estimé à près d’un milliard trois cent millions en 2018.

Pour son industrialisation, les décideurs doivent avoir une vision, non seulement au niveau de chaque pays, mais aussi sur les plans sous régional et régional.

Au niveau national, les gouvernants doivent faire un état des lieux rapide des potentialités et définir des stratégies adéquates. Il faut nécessairement compter sur une jeunesse de plus en plus diplômée. Toutefois, celle-ci doit bénéficier non seulement d’une formation professionnelle pertinente mais aussi d’un accompagnement pour qu’elle puisse créer ses propres emplois. C’est pourquoi je voudrais ici saluer l’initiative des Autorités nationales Togolaises qui ont décidé de réserver 20% des marchés publics aux jeunes et aux femmes accélérant ainsi leur promotion.

Sur le plan sous-régional et régional, il s’agira de fédérer les efforts pour créer des industries multinationales avec des spécialisations régionales. Par exemple, La Côte d’Ivoire et le Ghana étant grands producteurs de cacao, les dirigeants soit de la CEDEAO, soit de l’Union Africaine peuvent décider de créer dans l’un de ces deux pays, une grande usine de production de chocolat pour toute l’Afrique et mettre fin à l’importation de ce produit. Le Togo, le Maroc et l’Afrique du Sud, disposant de grandes réserves de phosphate, une usine de fabrication d’engrais chimique peut être créée dans l’un de ces pays pour redistribuer cet engrais chimique à tous les pays africains pour favoriser le développement de l’agriculture et s’affranchir ainsi des importations des produits alimentaires d’Asie.

Il importe toutefois de prendre des précautions pour que les capitaux servant à investir dans l’industrialisation ne proviennent pas des activités illicites. Il faudra empêcher les criminels d’investir dans ces activités industrielles avec les fonds illicites, puisque ces criminels seront moins préoccupés par la rentabilité de leurs entreprises ; l’essentiel pour eux sera d’investir dans l’économie propre pour blanchir les fonds obtenus frauduleusement puis de transférer immédiatement cet argent devenu licite vers d’autres cieux. Ils sont également capables de corrompre les agents publics pour gagner des marchés, ce qui va fausser la concurrence entre les entreprises.

Quelle est la mission assignée au GIABA ?

Le GIABA a été créé le 10 décembre 1999 à Lomé en République Togolaise au terme de la session de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO ; ses statuts ont été adoptés le 16 décembre 2000 puis révisés le 12 janvier 2008 pour inclure le volet de la lutte contre le financement du terrorisme devenu un phénomène planétaire à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Le GIABA, institution spécialisée de la CEDEAO, a donc pour mandat de lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive ;

Pour accomplir sa mission, le GIABA focalise son intervention sur les axes suivants : Veiller à la mise en place par les Etats membres de dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme conformes aux 40 Recommandations du GAFI; fournir aux Etats membres une assistance technique pour la mise en place de cadres institutionnels et réglementaires au nombre desquels la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) ; coordonner des recherches et typologies de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme pour comprendre les techniques et méthodes utilisées par les criminels financiers ; organiser dans les Etats membres, les auto-évaluations, les évaluations par les pairs, à l’effet de renforcer la conformité et l’efficacité de leurs dispositifs de lutte ; coordonner, dynamiser la coopération nationale, régionale et internationale afin d’accroître les capacités d’intervention et d’action des acteurs, etc.

Quels sont les axes d’actions que vous comptez mettre en œuvre pour atteindre les objectifs assignés au GIABA sous votre mandat ?

Les actions prioritaires que nous comptons accomplir au cours de notre mandat s’articulent autour de : la Poursuite des actions déjà planifiées conformément au plan stratégique 2016-2020 ; le renforcement des capacités du Secrétariat en termes de ressources humaines ; l’accompagnement de tous les Etats membres pour le renforcement de leurs dispositifs de LBC/FT ; la poursuite du renforcement des capacités de toutes les parties prenantes de LBC/FT ; la mobilisation des ressources financières et la recherche de nouveaux partenariats pour soutenir les actions du GIABA ; le respect scrupuleux des principes de transparence et de reddition des comptes dans la gestion des fonds alloués ; la redynamisation du site web du GIABA pour accroître sa visibilité ; la révision des statuts du GIABA pour les adapter aux nouvelles donnes, notamment la prolifération des armes de destruction massive ; L’adoption à terme d’une loi uniforme de LBC/FT dans la communauté du GIABA ; la définition d’une nouvelle vision au terme de la présente, qui sera axée sur les résultats, etc.

Quels sont les efforts que mène le Togo dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ?

Comme les Etats membres de la CEDEAO, le Togo dispose d’un dispositif juridique et institutionnel de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Sur le plan institutionnel, Il s’agit de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) et du Comité Interministériel de Suivi des Activités de la LBC/FT jouant le Rôle de prévention et de coordination des autorités chargées d’enquête, de poursuites et de répression, le tout sous l’autorité et la supervision des trois ministères clés à savoir le ministère de l’économie et des finances, du ministère en charge de la justice, du ministère de la sécurité et de la protection civile, qui constituent les autorités de tutelle du GIABA dans chacun des Etats membres.

Sur le plan juridique, l’on peut citer loi N° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, le code de procédure pénale, la loi N° 98-008 du 18 mars 1998 portant contrôle des drogues , la loi N° 2007-016 du 06 juillet 2007 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, la loi uniforme N° 2009-022 du 07 septembre 2009 relative à la lutte contre le financement du terrorisme dans les Etats membres de l’UEMOA.

Le Togo vient de faire un pas supplémentaire dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme après l’adoption de la loi uniforme révisée relative à la lutte contre ces deux fléaux, le 24 avril 2018 passé. Cette nouvelle législation fusionne les lois de 2007 et 2009 précitées et les améliore très sensiblement. Nous souhaitons vivement que cette loi soit suivie de textes d’application pour combler définitivement les lacunes qui sont reprochées au dispositif togolais de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ces textes d’applications auront l’avantage de confirmer ou de désigner de nouveaux membres de la CENTIF conformément aux dispositions de la nouvelle loi, d’instituer une autorité administrative en charge du gel administratif, de mettre en place un mécanisme chargé de recouvrer et de gérer les actifs criminels saisis conformément aux Résolutions 1267 (1999) et 1373 (2001) du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Il faudra par ailleurs retoucher le nouveau code pénal en ses dispositions relatives à la définition de l’infraction du financement du terrorisme, pour inclure notamment le financement d’une organisation terroriste, d’un individu terroriste et d’un ou de combattants terroristes à l’étranger.

Une fois que ces différents textes d’application seront adoptés et mis en œuvre, cela permettra au Togo de disposer de statistiques fiables et de réaliser une bonne prestation au cours de la seconde évaluation mutuelle du pays programmée pour l’année 2020 qui permettra de prouver l’efficacité du dispositif de lutte mis en place.

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