Il est de ces découvertes paléontologiques qui ne sont enseignées qu’à l’école. Celle-ci a le mérite d’être non seulement le passage de la théorie apprise sur les bancs et dans les amphis à la pratique sur site, mais aussi une prouesse du premier docteur togolais en paléontologie. Trentenaire, Lucien Amoudji s’est intéressé aux fossiles de la carrière de SCANTOGO. Ce qui se présente encore comme un film documentaire, est en réalité une entrée dans l’histoire de ce jeune dont les travaux de recherche, d’une durée de deux ans, sont entièrement financés par le Groupe HeidelbergCement au Togo. Les découvertes sont exceptionnelles !
C’est à Sika-Kondji (Tabligbo, préfecture de Yoto), plus précisément dans la carrière de SCANTOGO que se déroule une mission de chercheurs paléontologues à la recherche de fossiles. Parmi eux, le premier docteur en paléontologie du Togo, Lucien Amoudji, étudiant à l’Université de Lomé. Depuis des jours, sous le soleil comme la pluie, ils sont en train de prospecter et d’explorer des espèces animales disparus.
L’histoire raconte qu’en 1910, le paléontologue allemand Stromer avait recensé quelques fossiles dans la zone de Tokpli. Un siècle après, soit 100 ans plus tard, Dr. Lucien Amoudji, aidé par une équipe de paléontologues de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (Université de Montpellier /France) a mis le cap sur Sika-Kondji, dans la carrière de SCANTOGO. L’objectif du projet est de faire la géologie et étudier l’origine et l’évolution des vertébrés fossiles depuis la fin du Crétacé il y a 66 millions d’années jusqu’au début de l’Eocène (56 millions d’années). « Nous n’avons pas hésité une seule minute à accompagner ce projet que nous trouvons très important pour le Togo, son patrimoine, et la science. Il s’agit d’abord d’un jeune universitaire togolais dont le projet portant sur les recherches de fossiles dans notre carrière nous a séduits. Au fur et à mesure que les travaux de recherche avancent, nous découvrons des choses impressionnantes », nous confie Eric Goulignac, Directeur Général de SCANTOGO.
Sur le terrain, la phase de prospection à la recherche de fossiles dans la carrière de Sika-Kondji se fait chaque jour. Sous un soleil de plomb, Dr. Lucien Amoudji et son équipe nous transportent vers des fossiles identifiés dans leur démarche prospective. Périple fascinant, fort intéressant, avec des traversées boueuses, des trous à creuser en profondeur à la recherche du moindre indice, etc. « Mon boulot, c’est de les aider sur le terrain à dégager les spécimens, à les prélever puis ensuite à les préparer plus finement avec tous les matériels de préparation nécessaires. Ici, ça se dégage très bien à la main, avec des outils que nous utilisons. On gratte les argiles tout doucement. C’est un travail fastidieux. On a eu un bout de carapace de tortue. On a commencé la fouille et on a découvert qu’il y avait plusieurs plaques en connexion. On travaille progressivement là-dessus. C’est vraiment du travail de détail », informe Anne-Lise Charruault, membre de l’équipe, préparatrice des fossiles (Université de Montpellier).
Des découvertes

« Le niveau où on trouve les fossiles, c’est ici. Après ce niveau, nous avons la dalle de calcaire de base. On y trouve des restes de carapace et des requins. On a trouvé plein de fossiles de requins de raie. Nous étudions l’évolution des vertébrés dans le bassin sédimentaire. La carrière de SCANTOGO contient trois formations : le sable, le calcaire et les argilites. Ce qu’on a appelé le groupe de Tabligbo », affirme Dr. Lucien Amoudji.
Sur place, des restes de carapace de tortue sont découverts. « Cette tortue a à peu près 59 millions d’années. Par rapport au calcaire, on peut l’estimer entre 56 et 59 millions d’années, étant donné que c’est une tortue qui vivait juste en dessous du calcaire. On va l’amener au laboratoire pour faire des études complémentaires. Ces roches correspondent à un environnement de dépôt côtier ou continental. Donc cette tortue sera probablement une tortue continentale. Mais nous ferons des études plus poussées au laboratoire. A ce stade, on n’a trouvé que la carapace. On continue les recherches pour espérer tomber sur le jack-pot qui sera le crâne », commente le paléontologue togolais.
A part ces restes de carapace de tortue, l’équipe a également découvert des pavés dentaires de requins. « Depuis 110 ans, personne n’avait retrouvé cette espèce ici. On a pu retrouver beaucoup de restes dentaires de cette espèce, notamment des pavés dentaires (plusieurs dents ensemble) sur une mâchoire de cette espèce. C’est rare d’avoir ça. La plupart du temps, on a des dents qui sont isolées. Ici, nous avons découvert des pavés dentaires. Ça, c’est très intéressant », déclare Guillaume Guinot, paléontologue, spécialiste des requins à l’Université de Montpellier, co-directeur de thèse de Dr. Lucien Amoudji. « Ces pavés dentaires de cette espèce de requins qu’on a découvert, ont 59 millions d’années. Et cela confirme que le site était recouvert d’océan et c’est son fond que nous sommes en train d’explorer là-maintenant grâce au calcaire qui est exploité par SCANTOGO », ajoute-t-il.
C’est également sur le même site que Dr. Lucien Amoudji a découvert une colonne entière de vertèbres de dyrosauridae (crocodiliens). « C’est fabuleux. Je peux dire que ça fait partie de mes plus grandes découvertes paléontologiques. La colonne de vertèbres a été trouvée à 20 m profondeur. Ce crocodilien a environ 59 millions d’années », indique celui qui est également géologue. A cette étape, des requins, des crabes, des crocodiliens, et des tortues sont découverts sur le site.

Par contre, aucune trace de mammifère n’a encore été détectée sur le site, mais les recherches continuent. Pendant sa thèse, Dr Lucien Amoudji a décrit le contexte stratigraphique, environnemental. On y retrouve des niveaux côtiers et il est possible d’y trouver également des restes de mammifères. « Ils sont tout petits, mais d’une importance énorme, parce qu’il y a très peu de sites de cet âge dans toute l’Afrique. C’est l’époque où les mammifères commencent tout juste à se diversifier après l’extinction des dinosaures. C’est pour ça qu’on reste ici et qu’on continue de chercher. On a prélevé beaucoup de sédiments qu’on a lavé, qu’on a tamisé. Après le terrain, on trie tous ces sédiments à la loupe. Dès fois, il faut tamiser près de 500 kilos de sédiments avant de trouver une dent de mammifère par exemple », a laissé entendre Lionel Hautier, chercheur, paléo mammalogiste à l’Université de Montpellier.
Des retombées pour le Togo
Selon les informations recueillies sur place auprès des paléontologues, de grandes retombées issues de ces recherches sont attendues pour le Togo. La contribution de la carrière à la préservation du patrimoine scientifique national enfoui dans les roches, les moulages et/ou impressions 3D de certains spécimens seront mis à disposition de SCANTOGO pour exposition, la diffusion grand public des résultats sera effectuée par le biais de posters et conférences qui pourront être proposés à SCANTOGO. Les posters présenteront les fouilles effectuées et décriront les découvertes paléontologiques, la géologie et les paléo environnements représentés par les différentes roches contenues dans la carrière. « Le site de SCANTOGO pourrait être une référence mondiale avec ces vertébrés de 59 millions d’années. On a des trésors au Togo et les recherches pourront en révéler beaucoup encore », précise Lionel Hautier, chercheur, paléo mammalogiste à l’Université de Montpellier. « D’un point de vue pratique, ce qu’on trouve ici fera partie du patrimoine paléontologique togolais, du fait de l’exploitation de la carrière qui nous permet d’avoir accès aux couches fossilifères. SCANTOGO a bien compris qu’en aidant à faire ces recherches dans sa carrière, on peut ressortir des pièces exceptionnelles. On est venu ici et on a très rapidement vu qu’il y avait des requins, et d’autres restes, des crabes par exemple. On a décelé un potentiel assez important et on est content d’avoir développé ça », note-t-il.
« C’est également notre participation à la valorisation du patrimoine du Togo. Il s’agit de développer aussi des connaissances sur la richesse géologique et paléontologique disponible au Togo, avec des chercheurs togolais, en collaboration avec l’Université de Lomé et une équipe de chercheurs étrangers à l’appui. Nous avons ouvert notre carrière à trente étudiants en paléontologie-géologie de l’Université de Lomé mardi dernier », renseigne Eric Goulignac. « Nous finançons entièrement pour deux ans les travaux de recherche de Dr. Lucien Amoudji. Ce qu’on espère, c’est de pouvoir, à terme, créer des collections de paléontologie à l’Université de Lomé, et que tous ces spécimens fossiles soient accessibles aux étudiants togolais en géologie, mais aussi aux scientifiques du monde entier », poursuit le Directeur Général de SCANTOGO.
L’histoire du projet
Plus de cent ans après la dernière équipe de paléontologues au Togo, c’est la carrière de SCANTOGO qui reçoit la première équipe de paléontologues dans le pays au 21ème siècle. Trois experts français, en paléontologie (discipline scientifique qui étudie les processus de fossilisation (taphonomie) des êtres vivants disparus ou la corrélation et datation des roches qui les contiennent) ont été motivés par les recherches du premier docteur en paléontologie du Togo, Dr. Lucien Amoudji. Ce dernier excelle dans son domaine et est déterminé à sauvegarder les fossiles togolais, surtout enrichir le patrimoine paléontologique du pays.

C’est comme cela l’aventure a démarré. Le projet a pris corps avec le concours de SCANTOGO qui y a tout de suite vu le bien-fondé de cette initiative pour le Togo. « Ici, il y avait une grande mer et puis une lagune, il y a plus de 59 millions d’années. Dès les premiers jours, nous avons senti et repéré quelques indices de l’existence de ces espèces aquatiques dans la zone. Et actuellement, nous découvrons des carapaces des tortues, des squelettes des crocodiles, des crabes et bien d’autres. Des richesses paléontologiques pour le Togo et les chercheurs », raconte l’équipe.
Située au croisement de la géologie et de la biologie, la paléontologie décrit l’évolution du monde vivant, les relations entre les espèces et leur environnement (paléoécologie, évolution de la biosphère), leur répartition spatiale et leurs migrations (paléobiogéographie), l’extinction des espèces et l’apparition de nouvelles, ainsi que les écosystèmes dans lesquels les organismes anciens ont vécu. Une science basée sur les vestiges et qui démontre l’histoire des êtres vivants sur la terre. « C’est une science avec des méthodes de recherche très pointues et spécifiques. Nous travaillons dans des conditions favorables et grâce à mes quatre maîtres : Pr Johnson, Lionel Hautier, Guillaume Guinot et Mme Pauline Da Costa, les travaux avancent avec des résultats satisfaisants. Nous en sommes reconnaissants et nous leur disons merci. Ils ont beaucoup fait pour moi dans mes recherches paléontologiques au Togo », indique Dr. Lucien Amoudji.
Le jeune ingénieur géologue et docteur en sédimentologie et paléontologie qui a fait sa thèse à l’Université de Lomé, a connu un parcours brillant. Avec son CEPD obtenu en 2002 à Amoudji Copé, il réussit à l’examen du BEPC au CEG Agoè Centre en 2006, puis le Bac II en 2010 au Lycée portant le même nom. Diplômé d’une Licence LMD au Département de Géologie de l’Université de Lomé en 2013, il décroche son Master en 2017 en environnements sédimentaires au Département de Géologie, avant de réussir avec brio sa thèse en Doctorat cette année en Dynamique sédimentaire et géoressources.
Des recommandations
A en croire Dr Lucien Amoudji, ces découvertes doivent faire l’objet d’une conservation minutieuse et particulière. Elles font partie des richesses du patrimoine paléontologique du Togo et elles doivent servir à tout chercheur pour des travaux scientifiques et des expériences au laboratoire. Pour lui, la mise en place dudit laboratoire et des lieux appropriés pour le stockage des fossiles est vivement souhaitée.
L’équipe de paléontologues recommande également d’avoir une salle de collections pour que ces fossiles soient conservés. Une armoire avec des tiroirs pour le dépôt. « Il faut que ces fossiles soient conservés dans de meilleures conditions. C’est une richesse nationale et elle doit profiter à tous », indique-t-elle, avant d’exhorter à la formalisation d’un réseau des paléontologues en Afrique de l’Ouest.
SCANTOGO participe à la sauvegarde de ces fossiles. « Ces recherches effectuées vont permettre de développer la recherche togolaise en paléontologie, apprendre un maximum d’informations sur la richesse géologique et sur la biodiversité passée du Togo. Tout ceci se fera avec la collaboration de l’Université de Lomé et celle de Montpellier. Les deux années à venir, Dr. Lucien Amoudji va continuer ses études et recherches. Tout ce qui est trouvé dans le cadre de ces recherches dans la carrière de SCANTOGO reste la propriété des chercheurs », insiste Eric Goulignac.
Les travaux de recherche de Dr. Lucien Amoudji se poursuivent donc dans la carrière de SCANTOGO.
La Nouvelle Tribune